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23 mars 2014 7 23 /03 /mars /2014 16:01

je ne voudrais pas heurter mon pote sprogis, en produisant encore un "libelle contre l'établissement public dans lequel je travaille" (voir lettre ouverte à eric sprogis......), mais ce titre, bien que provocateur, ne peut tirer à conséquence;

en effet, les cours de solfège sont bannis des conservatoires officiellement depuis 1973; aussi, ce titre ne peut avoir d'effet que celui équivalent à par exemple : "rouler en diligence nuit-il à l'environnement?"

ces précautions oratoires étant prises, la question de la liberté est posée dans les cours de formation musicale, où un de mes autres potes, stephane forlacroix, conseiller aux études, y proclame un "espace de liberté"

la lecture du livre de michel freitag, "l'abime de la liberté", m' a interpellé sur cette question de la liberté, et la question du solfège peut illustrer ce que freitag appelle la liberté républicaine

Freitag distingue deux sortes de liberté, qu'il associe aux pensées initiales de hume et de descartes

"en généralisant, le modèle individualiste et utilitariste de liberté qui lui sert de légitimation, l'empirisme utilitariste [de hume[ représente donc l'idéologie spécifique qui soutient cette extension du capitalisme, et qui voit dans le marché l'expression la plus pure de la liberté individuelle.

On pourrait montrer de la même manière que le modèle cartésien d'une conscience transcendentale universaliste est de nature à soutenir plutôt un modèle orienté vers la réalisation de la République, impliquant l'idée d'une souveraineté collective et donc un modèle politique de réalisation de la liberté à travers la citoyenneté" (p.47)

il oppose un versant rationaliste à un versant empirique et utilitariste, en prenant comme exemple les révolutions française et américaine, où dans la première sont édictés les principes d'une liberté politique républicaine, fondés sur des lois communes auxquelles chaque citoyen doit se conformer, garantes des libertés de tous et où dans la deuxième l'organisation de la vie collective fut mis au service de la liberté et des intérêts individuels (p.85)

Pour Freitag, le versant empirique et utilitariste, que représente l'option libérale, signe la mort d'une solidarité et d'un esprit politique voué au bien public, pour un déchaînement des revendications de petits groupes organisés, déniant toute autorité légitime, n'y trouvant un intérêt que dans la mesure où elle sert leurs intérêts

"la conception libérale, appliquée de manière stricte, conduit nécessairement à la dissolution de la solidarité qui fonde la société, et donc à la destruction de la société, à sa transformation en un champ de bataille pour la survie (des plus aptes) dont l'arrangement d'ensemble et les lignes de développement seront finalement laissés à des puissances organisées et à des procès systémiques" (p.195)

Pour faire bref, avant la chute du mur de Berlin, le monde était partagé entre "un monde libre" et une société "totalitaire et communiste", réflétant ici les concepts d'une société d'individus libres face à une société républicaine.

A la chute du mur de Berlin, le monde dit "libre" s'est étendu sur le monde entier, dans un esprit de globalisation et de mondialisation d'une idéologie libérale où il ne peut exister d'alternatives.

La mise en place du traité transatlantique augure un sombre avenir à ce que Freitag appelle la liberté républicaine

Raquel Garrido, lors d'un meeting à poitiers avant le premier tour des élections municipales, prédisait qu'avec la judiciarisation en marche de ce traité, une école privée américaine, voulant s'implanter à poitiers, pouvait attaquer la ville de poitiers pour concurrence déloyale dans la mesure où le financement de l'enseignement public est contraire aux principes d'une concurrence "libre" et "non faussée"

De la même manière, au nom de l'égalité devant la "liberté d'entreprendre", on pourrait très bien imaginer que les écoles de musique associatives et privées de poitiers (arcadie, l'école moderne, syrinx) réclament une égalité de traitement avec le conservatoire et soit demandent à la ville de ne plus financer le conservatoire, soit d'être financées de la même manière que le conservatoire, au nom de cette fameuse liberté d'entreprendre et de l'égalité des organisations devant la justice.

Et le solfège dans tout ça?

J'y viens

Le solfège est un langage musical universel pour notre musique occidentale, capable de symboliser des sons, de se détacher des contingences réelles de la musique pour s'y libérer, permettant d'accéder à un imaginaire délié de la réalité, permettant à ceux et celles qui maîtrisent ce langage, de composer, lire et penser la musique, sans la pratiquer réellement

L'enseignement du solfège tel qu'on le connaît en France est issu de la Révolution Française, dans un souci d'unifier la pratique des instruments de l'orchestre, de tendre à trouver un langage musical universel, de contraindre la pratique des instruments de l'orchestre à une homogénéité parfaite, (par exemple, les coups d'archet des violons doivent être strictement les mêmes, pour obtenir un son homogène)

le solfège apparaît donc comme une contrainte instrumentale, mais permet en même temps une liberté de penser la musique sans les contraintes de la pratique instrumentale.

ce paradoxe, entre une nécessité à se soumettre à un langage, pour pouvoir se libérer des contingences de sa pratique, est à l'origine de bien des mal-entendus.

disons d'abord que le solfège est un langage idéal pour les instruments de l'orchestre, dans un souci d'uniformisation et d'homogénéité d'une pratique collective instrumentale

à l'inverse, pour des instruments relevant d'une pratique individuelle (comme la guitare), il peut exister d'autre forme de langage moins contraignant; les tablatures en sont un exemple, issu de la pratique baroque de la musique (à cet égard, les élèves qui pratiquent les "instruments anciens" au conservatoire y sont dès le début familiarisés).

pour résumer, le solfège est un langage musical approprié à une pratique collective de l'orchestre, mais est en quelque sorte liberticide pour la pratique individuelle des instruments, contrainte rédhibitoire pour des élèves qui veulent, en commençant la musique, y rentrer de plein pied, sans ces fastidieuses études du solfège que d'aucuns estiment nécessaires et indispensables.

mon pote Forlacroix a raison de parler "d'espace de liberté" dans le cours de formation musicale, où le langage solfègique, s'il est maîtrisé, libère des contingences d'une pratique nécessaire de l'instrument (le solfégiste confirmé peut composer de la musique à la table, l'entendre de manière imaginaire, il se libère de la pratique instrumentale pour accéder à l'espace infini de l'imaginaire musical)

hélas, cette maîtrise du langage solfégique se révèle difficile à acquérir, nécessitant une familiarisation constante avec la pratique de la musique, pour pouvoir atteindre le nirvana de "l'oreille absolue", compétence ultime pour une maîtrise parfaite du langage solfégique.

le langage solfégique est de l'ordre de ce que Freitag appelle la "liberté républicaine", un langage qui se veut universel et au service de tous pour un bien commun, la pratique homogène collective de la musique, mais qui demande des contraintes initiales, propres à la soumission à des lois consenties, dans un esprit de solidarité et de "communisme",

il n'est pas étonnant que ce système fonctionne dans des sociétés politiques où la solidarité, l'esprit citoyen et le refus de l'ultra libéralisme règnent; je pense bien évidemment au venezuela, avec le programme "el sistema", qui se développe parce que l'environnement politique y est propice à son éclosion naturelle

cette méthode est un exemple à la face du monde, que la france veut imiter avec ses "orchestres à l'école"

mais je doute du bien-fondé d'une telle opération dans notre pays, simplement parce que l'environnement idéologique et politique est en contradiction avec l'esprit de la méthode, je doute que dans notre société fondée sur l'individualisme et la concurrence quotidienne entre chacun pour accéder à un bonheur individuel et égoïste, une telle volonté de reproduire un modèle issu d'une autre manière d'envisager la vie puisse se réaliser avec succès

nous évoluons dans un monde où la liberté individuelle prend le dessus sur tout souci d'un bien être commun; les centrales nucléaires, le réchauffement climatique, l'emploi suicidaire des plastiques ou de la bagnole en sont des exemples parmi d'autres

ainsi, je pense que notre environnement idéologique est en contradiction avec l'idéologie du solfège; en d'autres termes, les notions de liberté véhiculées par notre système de pensée libérale ne sont pas en adéquation avec la les notions de liberté qui sont la conséquence du langage solfégique musical

ce travail de sape de l'esprit libéral apparait dans l'organisation de l'enseignement au crr; "les parcours personnalisée" en sont un bon exemple; le "parcours personnalisé" est hors cursus, encore marginal, mais je suis persuadé qu'il va s'organiser pour devenir hégémonique au sein du conservatoire

mon pote sprogis, quand il était directeur, ressassait qu'un conservatoire n'est pas une officine où on prend un cours particulier d'instrument, mais un lieu d'enseignement où les élèves sont astreints à un enseignement et à une pratique collective de la musique;

ces propos, digne des révolutionnaires de 89, paraissent désormais bien désuets, en particulier aux penseurs des think tanks du PS, qui se mettent depuis belle lurette à l'unisson des mélopées doucereuses libérales de la concurrence et de la propriété privée

pour conclure l'affaire, disons que nous subissons avec fatalité une idéologie libérale fondée sur la liberté individuelle et les revendications de multiples groupes de pression , au détriment du bien commun,

eh bien, assumons, et, concernant la musique, appliquons les lois du marché de la jouissance individuelle de la musique, simplement pour être à l'unisson de notre environnement idéologique

je ne dis pas cela par fatalité, je subis les bagnoles quand je roule à vélo, je subis l'emploi des emballages quand je vais au supermarché faire mes courses, je subis la formidable propagande de notre monde libre et ultra libéral face aux voix sourdes de ceux qui prônent une alternative quand j'ouvre un journal ou que j'écoute la radio, alors, revendiquer pour un conservatoire une pratique solidaire et citoyenne de la musique me parait bien vaine et hypocrite, face à une idéologie dominante et écrasante contre laquelle il est bien difficile de se faire entendre

 

 

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