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21 mars 2013 4 21 /03 /mars /2013 08:24

 

La plupart des parents que je croise, et qui me parlent de leur enfant apprenti musicien, me précisent régulièrement du seul « plaisir » qu’il aurait à pratiquer la musique.

De même, j’avais fait  il  y a quelques années, lors de la rédaction de mon mémoire de DURF, une enquête auprès de choristes de plusieurs ensembles vocaux de la région, d’instrumentistes de deux fanfares, et d’apprentis instrumentistes de plusieurs écoles de musique, à qui je demandais pourquoi ils pratiquaient une activité musicale ; les réponses convergeaient à plus de 75% pour le seul « plaisir » de pratiquer la musique.

J’avais commencé un travail sur la question du plaisir, mais je l’avais laissé tomber, mes recherches s’étant orientées à l’époque vers d’autres horizons.

La lecture de « l’usage des plaisirs » de Michel Foucault m’a rappelé aux bons souvenirs de la question du plaisir, je me suis replongé dans mes notes de lecture de l’époque, ce qui va faire l’objet de cet article.

Les trois volumes de l’histoire de la sexualité de Michel Foucault , dont « l’usage des plaisirs » est le deuxiéme tome, portent sur une vaste enquête des prémisses de notre pensée judéo-chrétienne, à partir de la pensée grecque. Pour Foucault, il suffit de fouiller dans les écrits des philosophes grecs vivant quelques siècles avant la naissance de jesus-christ pour comprendre notre morale actuelle.

Lecture pour ma part décevante, car Foucault se borne à restituer les éléments de son enquête, sans en faire une analyse, à l’inverse « des mots et des choses », où la thèse de l’emergence de la personne comme objet d’étude est brillament exposée.

Dans « l’usage des plaisirs », j’ai relevé deux phrases où il parle de musique :

« L’askesis (l’ascèse) morale fait partie de la paideia (la formation) de l’homme libre qui a un rôle dans la cité et par rapport aux autres ; elle n’a pas à utiliser des procédés distincts ; la gymnastique et les épreuves d’endurance, la musique et l’apprentissage des rythmes virils et vigoureux, la pratique de la chasse et des armes, le soin à se bien tenir en public, l’acquisition de l’aidos (la pudeur) qui fait qu’on porte à autrui-tout cela est à la fois formation de l’homme qui sera utile à sa cité et exercice moral de celui qui veut de maîtriser lui-même » (p.89)

« [les pythagoriciens…….demandaient à la médecine la purgation du corps et à la musique celle de l’âme, ils préféraient aussi au chant et aux instruments des effets bénéfiques sur l’équilibre de l’organisme » (p.117)

Foucault adopte ici le point de vue des stoïciens sur la pratique de la musique ; pourtant, on peut, dans la pensée grecque, découvrir d’autres manières d’appréhender la musique.

Les cyrénaïques, avec comme modèle Aristippe, prônent le culte du plaisir, revendiquent leur autonomie et la capacité de se donner eux-mêmes leurs propres lois, sans souci des règles collectives, le plaisir doit être apprécié dans l’instant, le désir fait figure de volonté et de règle de vie. Michel Onfray est un ardent défenseur de Aristippe, il lui a consacré plusieurs ouvrages, ce qui pourrait expliquer son nietzscheisme radical, sa haine de toute morale contrainte, qu’elle soit freudienne ou républicaine, son ultra-libéralisme affiché dans les habits d’un professeur d’université populaire.

Notre apprenti musicien d’essence cyréanique attend du cours de musique plaisir immédiat, il ne supporte pas la contrainte, veut jouir tout de suite des effets festifs de la musique, veut s’amuser, rire à tout moment, s’éclater.

Les épicuriens conçoivent la vie comme non-douleur, le plaisir est le bien, la douleur est le mal ; ils prônent le plaisir « catastémique », le corps est alors stable, sans douleur ni besoin, la faim et la soif satisfaites, une douceur chaleureuse berce le ventre plein.

Notre apprenti épicurien exige un cours agréable, la musique est pour lui une activité reposante, qui lui procure le bénéfice d’une posture cool qui l’éloigne de ses soucis quotidiens.

Diogène, et les cyniques, recherche les plaisirs naturels ; il se couche sur la dure, se nourrit frugalement, il pratique l’ascèse, qui consiste à se libérer d’éventuelles souffrances pour être autonome, libre de l’opinion des autres. Diogène parcourt le monde, libre tel un oiseau doué de raison, se moque de ceux qui sont enchainés par les contraintes de la vie commune. Diogène est certainement le premier « objecteur de croissance », soucieux d’une vie frugale en dehors du système.

Notre apprenti cynique a un projet musical, qui lui est propre et personnel ; il est prêt à s’y investir et à faire des efforts pour y parvenir ; il tient à ce projet personnel, à sa singularité esthétique et peut railler les musiques qui ne lui sied pas.

Les stoïciens méprisent le plaisir immédiat, et prônent la vertu qui élève l’âme, la rend sublime, royale, invincible, inépuisable. Le stoïcien se doit de contrôler ses passions, être sincère et pieux, il se concentre sur lui-même dans une intense méditation. La musique recherchée par les stoïciens est de très haute qualité, le musicien stoïcien ne discerne pas l’harmonie d’une façon naturelle, mais à la suite d’une longue habitude et d’une réflexion poussée qui sont à l’origine de la sensation savante. La poésie, comme la musique, doivent contribuer à purifier l’âme et à préparer à la vie morale, à une disposition droite, utiles à l’instruction de chacun.

Notre apprenti stoïcien pourrait être cet élève rêvé par tout professeur de musique, prêt à souffrir pour apprendre, convaincu des vertus bienfaitrices de la musique, attentif, toujours concentré sur sa tâche, respirant cette intelligence qui a compris que la musique est une des disciplines majeures pour son propre épanoussement.

 

Un peu à la manière de Foucault, j’ai brossé ici le portrait de quatre élèves, sous l’angle des plaisirs grecs, celui du jouisseur impénitent, celui du cool qu’il ne faut surtout pas brusquer, celui du rigolard moqueur et celui de l’idéal soumis et obeissant.

Quatre typologies d’élèves, parmi d’autres ; peut-être certains s’y reconnaitront.

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