Jean-Jacques Nattiez est un musicologue qui a écrit deux ouvrages fondamentaux sur la
sémiologie de la musique en 1975 et en 1987 ; il distingue, lorsqu’on parle de musique, deux langages : le langage interne de la musique (c’est en mineur, c’est rapide, c’est en mi
bémol, c’est une quinte augmentée......) et le langage externe de la musique (ça me rend triste, ça me fait penser au lever du jour, ça évoque mon enfance.......).
Leonard Meyer, en 1956, dans son livre « émotion et signification en musique »
(acquisition récente, que l’on peut emprunter à la bibliothèque de CRR) distingue deux sortes d’auditeurs : les absolutistes, qui considèrent
que la signification musicale repose exclusivement dans les rapports entre les éléments constitutifs de l’œuvre elle-même, et les référentialistes, pour lesquels il ne peut y avoir de signification que par renvoi à un mode extra-musical de concepts, d’actions, d’états émotionnels et de
caractère.
En croisant les affirmations de Nattiez et de Meyer ;
- un absolutiste utilise le langage interne de la musique
- un référentialiste utilise le langage externe de la musique
Faisons l’hypothèse que Meyer a utilisé le modèle du détenteur de l’oreille absolu pour
qualifier les absolutistes.
Mais, pour Meyer, la distinction ne s’arrête pas là ; une autre distinction va
doubler celle que je viens de présenter : les formalistes, pour qui la musique ne peut provoquer pas de réponses affectives, et les
expressionnistes qui admettent l’existence de sentiments exprimés par la musique.
Trois types de perception musicale émergent de cette description.
-L=absolutiste
formaliste : c=est
un sujet qui conçoit la musique comme l=objet
d=un
acte intellectuel pur, sans émotion ni
affect. La musique se comprend par son organisation même, par son langage interne exclusivement.
-L=absolutiste
expressionniste : c=est
un sujet qui comprend la musique dans son organisation interne, mais sait y associer des éléments externes, comme les images ou les sentiments. Les langages interne et externe sont ici
sollicités.
-Le référentialiste expressionniste : la
majorité des auditeurs adhèrent à cette posture. Ceux-ci ne maîtrisent pas assez le langage musical pour le comprendre, mais apprécient assez le contour de la musique pour leur évoquer des
images, des sensations, des associations. Ici, il est fait appel essentiellement au langage externe.
De cette distinction, on peut en déduire qu’un conservatoire forme des absolutistes
formalistes, c’est-à-dire, en quelque sorte, des avatars de détenteurs de l’oreille absolue.
Pour ma part, je pense que tout le discours de l’enseignement spécialisé de la musique
évacue sans cesse la question de l’oreille absolue, alors que sa présence est constante implicitement entre ses lignes.
deux citations célèbres illustrent ce type:
« En vérité, la lecture ou l=audition
d=une
œuvre musicale quelle qu’elle soit....n=ont
jamais constitué pour moi l=objet
d=un
plaisir, d=une
distraction, d=un
délassement, ou même une manifestation de ma curiosité. Si certaines de ces lectures ou auditions ont pu entraîner avec elles le plaisir, le délassement, voire l=ennui
ou l=irritation,
ce sont des qualités qui se sont surimposées au cours des exercices en question, exercices dont l=origine
et l=intention
première résident ailleurs ». LEIBOWITZ Robert., Schoenberg et son école, Paris : J. B. Janin, 1947, p.9.
« Car je considère la musique par son essence impuissante
à exprimer quoi que ce soit: un sentiment, une attitude, un état psychologique, un phénomène de nature, etc....L=expression n=a
jamais été la propriété immanente de la musique. La raison d=être
de celle-ci n=est
d=aucune
façon conditionnée par celle-là. Si, comme c=est
presque toujours le cas, la musique paraît exprimer quelque chose, ce n=est
qu=une
illusion, et non pas une réalité. C=est
simplement un élément additionnel que, par une convention tacite et invétérée, nous lui avons prêté, imposé, comme une étiquette, un protocole, bref, une tenue, et que par accoutumance ou inconscience, nous sommes arrivés à confondre avec son essence. » Igor
Strawinsky, Cité in MANEVEAU Guy. Musique et éducation, Aix en Provence : Edisud, 2000, p. 111