C’est l’intitulé de plusieurs journées de formation organisées à Saintes en mars prochain.
On peut dire que deux lobbies pilotent cette opération.
Les tenants d’une tradition orale populaire, défenseur des valeurs du terroir et d’une culture de pays.
Les défenseurs de la pratique du chant choral, maîtrisiens dans l’âme et ardents défenseurs de la méthode solfégique de l’enseignement de la musique.
Ces deux familles sont idéologiquement opposées : les uns défendent une transmission orale de la musique d’essence populaire, les autres veulent être un
rempart à toute velléité d’écorner une méthode de lecture de la musique savante.
Chaque courant prend appui sur la voix de l’enfant, mais les voies divergent ensuite sur ses destinées ; pour les uns, l’oralité représente une authenticité
matricielle qu'’aucun écrit ne peut pervertir, pour les autres au contraire, l’écrit est le résultat final d’un parcours oral balisé et temporaire.
Deux logiques s’affrontent donc : les oraux contre les écrits, les sauvages de la transmission orale, et les précieux de l’excellence scripturaire, comme le
laisserait entendre Luc Ferry.
Cette opposition de façade recèle cependant des lézardes épistémologiques que cette dialectique oral/écrit peut rendre caduque.
L’enseignement traditionnel oral, qui se dit d’oreille, devrait s’écrire « aural », anglicisme qui veut bien dire que tout vient de l’audition, et
non de la voix.
A l’inverse, l’enseignement du solfège n’est pas une éducation de l’oreille, écoute intérieure comme on voudrait nous le faire croire, mais une éducation orale,
c’est-à-dire que le chant est premier dans toute pratique musicale, que celui-ci est ensuite intériorisé, pour pouvoir être lu et écrit.
Pour illustrer d’une part le caractère « aural » d’une transmission de savoirs musicaux, Françoise Dolto, experte en oralité psychanalytique, nous livre
un exemple sur la transmission du don de la musique :
« Il y a aussi ce que font les Gitans pour renouveler les musiciens. J’ai appris cela quand j’étais en pèlerinage des
Sainte-Marie-de-la-Mer, chez une amie qui connaissait beaucoup de Gitans. On a beaucoup parlé, c’est passionnant. Elle racontait que pour les gitans musiciens, dans le clan, le groupe, je ne sais
pas comment ils l’appellent, la tribu, peut-être, je ne m’en souviens plus, quand le vieux meilleur musicien d’un instrument se sent vieillir, ils parlent entre eux : « Il faudrait bien
qu'’il y ait un enfant qui reprenne », et pendant les six dernières semaines de la grossesse d’une des femmes, ce meilleur musicien vient jouer tous les jours pour le fœtus, et puis encore
tous les jours les quelques semaines qui suivent sa naissance, il vient jouer tous les jours de son instrument, pour le bébé, et ce qu'’il joue le mieux. Et c’est tout. On laisse les choses comme
ça, et on est sûr que cet enfant-là prendra cet instrument-là en grandissant. Ils m’ont raconté que c’est toujours comme ça que l’on prépare la relève. Avant la naissance et les premiers temps de
la naissance. C’est de cet instrument-là dont il voudra jouer quand il va être en âge de désirer s’exprimer. C’est très joli. Vous voyez que c’est
plus qu'une parole, la musique. C’est un message signifiant de langage ». (p.63, dans « Tout est langage »)
Ce texte sur « l’auralité » m’amène à penser que toute excellence musicienne n’aurait pas son origine dans une
prétendue oralité enfantine, mais dans une « auralité » intra–utérine du fœtus, et ensuite du nourrisson.
La deuxième illustration m’est venue à la lecture d’un roman policier intitulé « Willy Mélodia » l’histoire d’un loser
qui traverse l’histoire de la mafia aux Etats-Unis. C’est un pianiste affublé d’une oreille absolue indéfectible. Il apprend tout d’oreille, et il écume les pianos-bars louches, ne chante pas et
ne sait pas lire la musique.
L’oreille absolue, comme chacun sait, est le but ultime à atteindre pour toute âme éclairée musicienne de l’esprit supérieur de
notre civilisation, comme nous le chante Luc Ferry. L’oreille absolue permet de voir la musique, comme nous le laisse entendre Jacques Attali, d’associer des hauteurs à des noms de notes,
eux-mêmes pouvant être retranscrits sur du papier à musique, faisant de ces privilégiés qui en sont dotée une caste aristocratique dominant un royaume d’aveugles et d’analphabètes de la
musique.
Mais Willy Melodia, ce piètre pianiste sicilien de Catane issu de l’imagination d’un auteur de polar, nous dit que l’oreille
absolue peut se passer de l’écrit de la partition, au bénéfice vraisemblable de la géographie du clavier du piano inscrite de façon indélébile dans le cerveau de ce malheureux
héros.
Cette vision instrumentale de la musique, dont on voit bien que l’oralité est exclue, se retrouve dans des expérimentations
pédagogiques de la musique à l’école, sous forme de « classe orchestre » :
Témoin ce qui est mis en place à l’école Jacques Brel et à l’école Tony-Lainé
« Le cours se déroule en deux temps : des ateliers se mettent en place autour d’un instrument (trompettes-cors, trombones-tubas et percussions) puis les
enfants jouent ensemble. » Ici, pas de pipeau ou de flûte qui n’ont plus vraiment la cote ; Pas davantage de solfège. « Maintenant, on
entre dans la pratique avant d’apprendre le solfège. Cet apprentissage viendra après », commente Anne Gérard, adjointe au maire à la culture.
La Ville a en effet favorisé la mise en place de la classe orchestre avec l’inspection d’académie sur une initiative du Conservatoire à rayonnement régional de Poitiers, implanté et fortement
impliqué dans le quartier.
(Extrait d’un Poitiers magazine)
L’excellence d’une pratique orale est ici rejetée, au profit d’une pratique instrumentale collective, le solfège « venant
après ».
L’oralité que l’on nous chante, comme origine d’une excellence musicienne, paraît alors bien caduque face à une
« auralité » d’essence populaire et ménétrière.