C’est une hiérarchie de la perception auditive qui a été établie par Pierre Schaeffer,
dans son ouvrage majeur : « Traité des objets musicaux ».
Ouïr, c’est percevoir l’environnement sonore dans lequel nous baignons, c’est tout signal
sonore qui met en branle notre système auditif, de l’oreille externe jusqu’aux aires auditives de notre cerveau.
Ecouter, c’est sélectionner, parmi l’environnement auditif que nous percevons, le son qui
nous agrée. Cette compétence nécessite l’attention de l’auditeur au signal sonore à sélectionner. Il m’arrive par exemple en cours de formation musicale de jouer au piano un intervalle, et de
demander à un élève de me le nommer. Celui-ci me dit alors qu'’il est incapable de répondre, parce qu'’il ne l’a pas écouté ; il l’a ouï, mais pas écouté, son attention ne s’est pas portée
au moment opportun vers le signal sonore à sélectionner.
Entendre, c’est, après avoir écouté un signal sonore, le qualifier à l’aune de ses propres connaissances. Lorsque quelqu’un dit : « J’entends bien ce que vous dites », c’est que mes dires sont passés sous les
fourches caudines de son propre jugement, de son propre « entendement ».
Comprendre, c’est interpréter un message sonore à l’aune de l’entendement de l’autre. On
comprend quelqu’un lorsqu’ on sait ce qu'’il pense.
Imaginons que nous écoutons un quatuor à cordes sur un CD à la maison.
La ouïssance, c’est la perception de tous les sons qui me viennent aux oreilles : ce
sera effectivement le son du quatuor, mais cela peut être aussi le son du moteur d’une mobylette qui passe dans la rue, le son lancinant du compresseur du frigo que je perçois lorsque le quatuor
joue pianissimo, ou encore même le son généré par mon propre système auditif, les acouphènes.
L’écoute, ce sera l’attention concentrée vers le signal sonore qui sort de ma chaîne hifi,
et j’essaierai, dans la mesure du possible, d’ignorer les autres sons que je serai susceptible de percevoir.
L’entendement, ce sera une première analyse du son perçu sélectionné, je peux entendre si
c’est en majeur ou en mineur, si le tempo est lent ou rapide, si les instruments sont bien accordés.......
La compréhension, c’est deviner l’intention des interprètes du quatuor, pourquoi à tel
moment le premier violon jouera plus fort, ou à tel autre un point d’orgue se fera entendre.
Curieusement, cette hiérarchie a été évoquée par un autre auteur, Carl Rogers, dans son
livre fameux « Liberté pour apprendre ».
Ecouter l’autre, pour Rogers, c’est accepter autrui pour ce qu'’il est, sans à-priori,
dans un lâcher-prise de ses éventuels préjugés, recevoir de l’autre tout ce qu'’il veut bien nous donner, nous concentrer essentiellement sur son message sonore, et seulement sur celui-ci, sans
interférence d’autres messages d’aucune sorte.
Entendre quelqu’un, c’est l’écouter avec ses oreilles déjà préparées à cette écoute, le
comprendre à l’aune de son propre jugement ; on peut entendre quelqu’un sans pour autant l’écouter, porter un jugement sur lui en étant sourd à son discours.
Comprendre quelqu’un est l’ultime étape de son écoute, c’est se mettre à sa place pour
comprendre ce qu'’il dit : on dit de quelqu’un qu'’on connaît bien qu'’on le comprend à demi-mot, on sait ce qu'’il pense, on peut se mettre à sa place, les mots exprimés ont bien le sens
que ce que veut dire véritablement le locuteur.
A l’inverse, quel désespoir d’être entendu par l’autre pour ce qu’on n’est pas, par toute
une séries de malentendus, de manipulations malencontreuses, de quiproquos maladroits, de ce qu’on voudrait que l’autre entende de soi. Il arrive ainsi qu’on ne soit pas bien compris, ou encore d’être perçu pour le
contraire de ce qu’on est, simplement
parce qu’on a voulu, par un excès de zèle et par manque de confiance, faire entendre à l’autre une vérité qui n’était pas celle qu’on détenait.
Rogers et Schaeffer ne se connaissaient pas, et ne devaient pas avoir lu leurs ouvrages
respectifs. Pourtant, les nuances de la perception auditive des deux auteurs se ressemblent et convergent vers une même idée de la compréhension ; preuve que, pour cette fois là, la musique
et les sciences de l’éducation ont su accorder leurs violons.